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AVERTISSEMENT

Amis lecteurs
Je ne fais ce Blog que pour vous faire decouvrir les tresors du Judaisme
Aussi malgre le soin que j'apporte pour mettre le nom de l'auteur et la reference des illustrations sur tous ces textes , il se pourrait que ce soit insuffisant
Je prie donc les auteurs de me le faire savoir et le cas echeant j'enleverais immediatement tous leurs textes
Mon but etant de les faire connaitre uniquement pour la gloire de leurs Auteurs

LE REVE


                                                                         Picasso


           Un rêve qu’on n’interprète pas est comme une lettre qu’on ne lit pas.

Le rêve de Jacob
Le rêve est, selon la tradition juive, un degré  de prophétie. 
Celui de Jacob annonce la connexion  possible entre le monde
du ciel et celui de la terre. 
Mais cette révelation n’est possible qu’à un endroit precis   :
Jérusalem.  

Talmud Bavli, Traité Berakhot, page 55A

Rav H’isda dit: un rêve qu’on n’interprète pas est comme une lettre non lue. Un bon rêve, pas plus qu’un mauvais, ne se réalise jamais complètement. ‘Que le prophète qui a eu un songe raconte ce rêve et que celui qui a entendu ma parole rapporte fidèlement ma parole. Pourquoi mêler la paille et le froment ? dit l’Eternel
(Jérémie, 23; 28). Quels rapports peuvent avoir la paille et le froment avec le rêve?
Selon Rabbi Yoh’anan, de même qu’il est impossible de trouver du froment sans paille, de même il est impossible que le rêve ne contienne pas quelques éléments dépourvus de signification.

 Commentaire de Rachi sur la page 55A
Qu’on n’interprète pas: qui n’a pas été ouvert
Comme une lettre non lue: ni en bien, ni en mal, car tout rêve va d’après leur  interprétation



Talmud Bavli, traité Berakhot, page 55 B


Rabbi Bizna fils de Zavda au nom de Rabbi Akiva, qui lui-même parlait au nom de Rav Panda au nom de Rav Nah’oum rapportant les propos de Rabbi Birim a dit qu’un vieil homme qui se nommait Rav Bannah, lui avait raconté ceci : « Il y avait 24 interprètes de rêves à Jérusalem. Une fois, j’ai eu un rêve et je suis allé voir chacun d’eux. Les interprétations qu’ils m’ont faites étaient toutes différentes, et toutes se sont révélées exactes, selon le verset qui dit « Tout rêve va d’après la bouche (l’interprétation) ». (Le Talmud demande) cette expression est-elle réellement citée dans un verset ? Oui selon Rabbi Elazar qui enseigne : D’où sait-on que tout rêve se réalise d’après son interpretation ? Parce qu’il est dit « Les choses sont arrivées selon l’interprétation qu’ils nous a donnée » (Genèse, 41 ; 13).



Talmud Bavli, traité Berakhot, page 55 B


Rabbi Shmouel fils de Nah’mani au nom de Rabbi Yonathan : on ne montre à un homme (dans un rêve) que les désirs de son coeur, comme il est dit « ô roi, il a surgi en toi, sur ta couche, des pensées touchant ce qui arrivera dans la suite »
(Daniel, 2 ; 29) ; et d’autres disent de là : « et que tu connaisses les pensées de ton coeur » (Daniel, 2 ; 30). Rava dit : sache qu’il ne sera jamais montré à un homme (dans un rêve) ni un palmier en or, ni un éléphant dans le chas d’une aiguille.

 Commentaire de Rachi
Les désirs de son coeur : ce qu’il pense dans la journée
Un palmier en or : une chose inhabituelle à voir et dont il ne voudra jamais





La tunique de la désunion

Midrash Raba sur Genèse, section 84

Et Israël aimait Joseph : discussion entre Rabbi Yéhouda et Rabbi Néhamia. Rabbi Yéhouda dit : «leurs visages se ressemblaient ». Rabbi Néhamia dit: « toutes les lois que Jacob avait appris chez Chem et Ever, il lui les a transmises ».
Il lui fit une tunique de laine fine: Rech Lakich au nom de Rabbi Elazar fils d’Azaria dit: «un homme ne doit pas faire de différence entre ses enfants, car c’est à cause de la tunique offerte à Joseph par son père, que ses frères le haïssaient ». Le mot passim est l’acronyme des malheurs engendrés par cette tunique (qui a été le départ de la haine des frères, puis de la vente de Joseph) : Putiphar, Soh’arim (les marchands), les Ismaéliens, les Midianites.
Pourquoi l’ont-ils haï ? Car c’est par son mérite que la mer s’est ouverte lors de la sortie d’Egypte; « passim » se décompose en deux mots: pass -qui fait traverser et yam- la mer.


Jacob, un soleil sur la terre

Midrash Raba sur Genèse, section 68

Il rencontra l’endroit : il voulu passer, mais la terre se dressa comme un mur devant lui. Car le soleil s’était couché t’apprend que Dieu fit se coucher le soleil en avance afin de parler avec Jacob notre père en privé; comme un roi qui, pour parler à son plus fidèle sujet en privé, va éteindre les lumière. Rabbi Pinhas au nom de Rabbi Hanin de Tsipori dit : « il a entendu les voix des anges qui disaient : « Le soleil vient ! Le soleil vient ! ». Au moment où Joseph (en racontant son rêve) dit « et voici le soleil et la lune », jacob se dit :’qui lui a dévoilé qu’un de mes noms était le soleil ! ‘.


Joseph, un homme séduisant qui contrôle ses pulsions

Le Maharal  sur un commentaire de Rachi sur la Genèse (chapitre 39, verset 1)

 Il explique que l’intention, aussi bien de Joseph que celle de la femme, était louable. En effet, ils avaient vu par des signes astrologiques qu’ils auraient une descendance commune. Ils conclurent donc (même si l’idée d’avoir des rapports avec une femme mariée tourmentait Joseph, ce qui explique sa réticence du début) qu’il leur était permis d’avoir des rapports sexuels. Cependant, Jacob apparut pour expliquer à Joseph que son raisonnement était erroné. Les signes astrologiques seuls ne délivrent pas un message correct; c’était précisément le rôle du pectoral: déterminer le vrai du faux dans une situation donné.


L’échanson et le boulanger.

Analysons à l’aide de la tradition rabbinique les rêves de l’échanson et du boulanger tels qu’ils sont relatés au chapitre 40 de la Genèse. Ajoutons que selon Rabbi Bena’a : « Tous les rêves marchent d’après la bouche » (Berakhot 55b). Ce dit talmudique suggère qu’un rêve est signifiant dans la mesure où il est interprété, mais aussi dans la mesure où il est raconté. Et la manière dont il est raconté est cruciale pour la phase interprétative. Rappelons les données du chapitre 40. Suite à un « égarement », les deux serviteurs de Pharaon ont été destitués de leur fonction et jetés dans la même prison que Joseph. Un matin, Joseph constata que leurs visages étaient défaits. II s’enquit de la raison de cet abattement pour s’entendre dire : « nous avons rêvé un rêve et pour l’interpréter il n’a y personne (16) » (Gn 40,8).

9 Et le chef des échansons a raconté.......son rêve........ à Yossef
Et il lui a dit........dans mon rêve... et voilà une vigne.... devant moi

10 Et dans la vigne....... trois sarments
Et comme elle commence à éclore....... montait sa fleur
ses grappes faisaient....... des raisins mûrs

11 Et la coupe de Pharaon....... est dans ma main
Et j’ai pris les raisins....... et je les ai écrasés....... vers la coupe de Pharaon
et j’ai donné la coupe....... sur la paume de Pharaon

12 Et Yossef ....... lui a dit ....... ceci est son interprétation
Les trois sarments ....... ce sont trois jours

13 Dans encore ....... trois jours ....... Pharaon relèvera ta tête
et il te fera revenir ....... sur ton poste
Et tu donneras la coupe de Pharaon ....... dans sa main ....... selon le jugement premier quand tu étais son échanson

16 Et le chef des boulangers a vu ....... que c’est en bien qu’il interprétait
Et il a dit ....... vers Yossef ....... moi aussi ....... dans mon rêve ....... et voilà
trois paniers de pain blanc ....... sur ma tête

17 Et dans le panier du haut ....... de tout ....... manger de Pharaon
œuvre de boulanger
Et l’oiseau ....... les mange ....... du panier ....... de sur ma tête

18 Et Yossef a répondu ....... et il a dit ....... ceci ....... est son interprétation
Les trois ....... paniers ....... ce sont ....... trois jours

19 Dans encore ....... trois jours ....... Pharaon relèvera ta tête ....... de sur toi
et te pendra ....... sur un arbre
Et l’oiseau mangera ....... ta chair ....... de sur toi

20 Et il y a eu ....... le troisième jour ....... jour de la naissance de Pharaon
et il a fait un festin ....... pour tous ses serviteurs
Et il a relevé ....... la tête ....... du chef des échansons
Et la tête ....... du chef des boulangers ....... parmi ses serviteurs

21 Et il a remis ....... le chef des échansons ....... sur son poste d’échanson
Et il a donné la coupe ....... sur la paume de Pharaon

22 Et le chef des boulangers ....... il a pendu
Comme avait interprété ....... pour eux ....... Yossef (17)

Rêves quasi-identiques ou plus exactement symétriques. Pourquoi, dès lors, l’un est interprété pour le bien alors que l’autre, non ? Une lecture attentive permettra de déceler les nuances qui ont imposé une telle interprétation. Pour en saisir l’argument central, il convient de s’attarder sur le verset 5. « VayaHalmou Halom shénéhem Et ils ont rêvé un rêve tous les deux chacun son rêve une nuit chacun selon l’interprétation de son rêve » (18) . Verset énigmatique à construction syntaxique complexe. Rachi (ad loc.) attire l’attention sur son début : « Le sens obvie, c’est qu’ils ont rêvé tous deux. » Mais Halom/rêve est à l’état construit. Ce qui signifie : « chacun a rêvé le rêve des deux. » Son propre rêve et celui de son compagnon de prison. Ce qui permet l’interprétation audacieuse de Rabbi Eléazar : Chacun a vu son rêve et la signification du rêve de son compagnon. La preuve (exégétique) : Et le chef des boulangers a vu que c’est en bien qu’il interprétait… (Gn 40,16) (Berakhot 55b) (19). À comprendre ainsi : le chef des boulangers vit que Joseph interpréta conformément à la signification du rêve de son compagnon telle qu’il l’avait lui-même rêvée. Chacun a vu, dans son rêve, ce qui arriverait à l’autre ; l’échanson voyant le boulanger pendu tandis que celui-ci voyait l’échanson rétabli dans ses fonctions. Mais comment Joseph a-t-il pu trouver la « bonne » interprétation ? Qu’est-ce qui lui permet de rétablir l’échanson dans sa fonction première et de prévoir une funeste fin au boulanger ? Certes, une analyse rigoureuse des rêves mais s’appuyant sur la raison de leur emprisonnement dont le texte biblique ne souffle mot la laissant dans la plus totale indétermination : « égarement » (Gn 40,1). Le Midrach, qui en sait toujours plus, établit « qu’une mouche est tombée dans la coupe de vin servie par l’échanson, alors qu’un caillou se trouvait dans le pain préparé par le boulanger. » (Genèse Rabba 88,2). Plus que d’un « égarement » ou d’une « erreur », c’est d’une négligence, d’une faute professionnelle qu’ils se sont rendus coupables l’un et l’autre, dans le service de leur souverain. D’un manquement à la responsabilité, même si l’échanson peut plaider la « bonne foi » : la mouche a pu tomber une fois la coupe servie alors que le caillou peut avoir été placé intentionnellement dans la miche de pain. Si bien que les rêves reçoivent un nouvel éclairage accentué par le fait que l’échanson et le boulanger ont longuement médité sur leur sort, ruminé leur mésaventure ; le premier tirant des conséquences de son « manquement », le second, aucune. Le premier s’occupant scrupuleusement de la fabrication du vin, étant attentif à toutes les étapes : depuis l’éclosion des fleurs sur les sarments jusqu’à la vinification en passant par le mûrissement des grappes. C’est lui qui cueille le raisin, le presse, fait le vin, remet la coupe entre les mains de Pharaon. Rien, absolument rien, n’échappant à sa vigilance. L’échanson s’est donc amendé. Il a compris qu’il a failli à sa tâche. Désormais, il entend assumer la plénitude de sa responsabilité -fût-elle « prise en défaut » par quelque chose qu’il ne maîtrise pas : « une mouche ».
En revanche, le boulanger demeure dans son insouciance première. Il fait preuve d’une passivité répréhensible voire coupable. Ici, rien n’est dit de la préparation des pains. (Est-il présent ? Surveille-t-il leur fabrication ? Il ne semble pas !) Pire encore, une fois les pains prêts à être consommés, il ne les protège aucunement les posant dans un panier à claire-voie et les livrant ainsi en pâture aux oiseaux du ciel qu’il ne tente même pas de chasser ! Plus que de l’insouciance, c’est une conduite irresponsable de sa part, contrairement à l’échanson qui s’affaire, qui provoquera l’issue fatale.
S’agit-il ici d’un inconscient à l’œuvre ? Les raisons sont cherchées dans une pensée qui fait retour sur le rêve pour le rendre signifiant sur le plan éthique. Elles permettent même de comprendre a posteriori la détermination de l’égarement par le midrach.







Psaumes, chapitre 126


1) Cantique des degrés. Quand l’Eternel ramena les captifs de Sion, nous étions comme des gens qui rêvent.
2) Alors notre bouche s’emplit de chants joyeux et notre langue d’accents d’allégresse.
3) Alors on s’écria parmi les peuples : « le Seigneur a fait de grandes choses pour ces gens ! » Oui, l’Eternel a fait de grandes choses à notre égard, profonde est notre joie.
4) Ramène nos captifs, ô Eternel, comme tu ramènes des ruisseaux dans le désert du Midi.
5) Ceux qui ont semé dans les larmes, puissent-ils récolter dans la joie !
6) C’est en pleurant que s’en va celui qui porte les grains pour les lancer à la volée, mais il renvient avec des transports de joies, pliant sous le poids de ses gerbes.

 Commentaire du Metsoudat David
 Verset 1 :
Quand l’Eternel ramena les captifs : Quand D.ieu fera revenir de l’exil babylonien les enfants de Sion, ils diront: «toutes les souffrances que nous avons enduré nous paraissent comme des rêves ».
Cela veut dire que par rapport au bienfait qu’ils recevront à ce moment là, les souffrances endurées s’évanouiront comme un rêve.





David Banon
Le rêve entre midrach et psychanalyse
Interprétation rabbinique et interprétation psychanalytique



Un rêve qu’on n’interprète pas est comme une lettre qu’on ne lit pas.
Bérakhot 55a
Grande est la signification qui circule entre deux lettres.
Bérakhot 33a


Interpréter les rêves : le psychanalyste s’y consacre, entre autres. L’exégète s’y trouve aussi confronté en certains passages de la Bible. L’un et l’autre ne travaillent d’ailleurs pas directement sur les rêves mais, plus précisément, sur les récits de rêves et, souvent sur les interprétations qu’en donnent les rêveurs eux-mêmes ou les narrateurs. L’un comme l’autre, leurs finalités diffèreraient-elles - ici, thérapeutique, là, éthique- ont à décrypter en ces « textes » une « vérité » ou plutôt un « sens » qui n’est jamais manifeste. Même si l’analyste travaille « à chaud » sur le matériau onirique et avec un interlocuteur dont le rêve est partie intégrante et l’exégète interprète un texte « refroidi », il reste que l’un et l’autre ont un même souci de compréhension sur un terrain qui semble la masquer ou la détourner. D’un côté, l’analyste cherche ce qui se dissimule derrière les images qui émergent du fin fond de l’inconscient et affleure à la conscience ; de l’autre, l’exégète cherche à appréhender le sens qui circule entre les lignes, les versets, les accents conjonctifs-disjonctifset les lettres.
Peut-on légitimement comparer ces deux pratiques ? Esquisser un rapprochement méthodologique entre l’interprétation psychanalytique et l’interprétation rabbinique ? Les catégories proposées par Freud peuvent-elles être confrontées (1) à celles des Sages du Talmud (Berakhot 55a-57b) ?

I - L’interprétation, une production de sens.

L’hypothèse du rapprochement méthodologique entre ces deux tentatives de récollection du sens est suggérée non seulement par le titre même du grand ouvrage de Freud, L’Interprétation des rêves, qui date de 1900, (2) mais aussi par de fréquents renvois au texte biblique. Certes, celui-ci est inséré dans un ensemble de références qui intègre aussi bien des mythes que la littérature antique, classique ou contemporaine. Mais que la Bible soit invoquée, par exemple, pour confirmer l’unité thématique des rêves d’une même nuit, fussent-ils séparés par un temps de réve (3), suffit à attester la pertinence de cette hypothèse. L’intitulé de ce livre trace la voie puisqu’il indique deux versants : celui de l’interprétation et celui du rêve, ou, formulé autrement : l’interprétation porte sur le rêve.
Le rêve est donc ouvert, livré à l’interprétation. Les productions oniriques ne sont ni arbitraires ni insensées : elles possèdent un sens que le psychanalyste s’efforce de restituer. C’est la grande découverte de Freud. Le rêve, comme archétype de la production psychique, n’est pas un mode dégénéré ou irrationnel de la vie mentale, un déchet ou une représentation dénuée de sens. Au contraire, il est chargé de sens -peut-être même surchargé. Le sens du rêve est dense, opaque, équivoque ou plurivoque -pouvant même se prêter à plusieurs lectures (4). Le rêve et ses analogues s’inscrivent, par conséquent, dans une région du langage où la polysémie est de mise.
Or, ce problème de polysémie n’est pas propre à la psychanalyse : la phénoménologie de la religion le connaît aussi. Et ce n’est point un hasard si celle-ci a constitué l’une des préoccupations les plus anciennes et les plus constantes des psychanalystes. Mais la phénoménologie de la religion ne discerne pas cette polysémie à travers les distorsions, elle la rencontre comme manifestation positive d’un fond - qu’il soit textuel et/ou rituel.
L’interprétation - second versant du titre de l’ouvrage de Freud- c’est précisément l’intelligence de cette polysémie. Intelligence à comprendre, non pas tant comme un paradis transparent du sens, mais plutôt comme recherche et production de sens (transcription ou traduction de sens, dirait Freud). Recherche et production dans la mesure où intelligence voudrait dire : lecture qui constitue le déclenchement de la quête du sens. Dans la mesure aussi où intelligence viendrait d’inter-legere qui signifie entre-lire. Et entre-lire, c’est une modalité de lecture diffractée. D’une lecture qui fraye son chemin entre les lignes, entre les versets, entre les mots, entre les lettres ; qui s’attache à délier les mots, à détecter leur rapport -non univoque- à la réalité qui toujours les excède ; qui interroge les blancs, les interstices de la langue et du discours ; qui défait les liens rigides de la syntaxe pour entendre, peut-être, un autre récit sous le récit. Entre-lire, c’est cela l’intelligence du sens. Toujours donc, l’interprétation joue sur l’ambiguïté ou plus exactement sur la polysémie de l’élément manifeste, comme dans la Bible où le sens déborde de toutes parts le texte proposé à la lecture immédiate.
D’un côté comme de l’autre, il semblerait que le matériau sur lequel le psychanalyste ou l’exégète travaille soit, de par sa structure même, susceptible d’interprétation. Le récit biblique du rêve et la vision onirique se présentent comme des invitations à la sollicitation - invitations qui proviennent du fait que notre connaissance de ces deux productions de l’esprit humain est totalement dépendante du médium linguistique. Les rêves, comme les récits, sont racontés, rapportés, interprétés dans le langage. La phénoménologie de l’activité onirique, comme celle de la narration, s’inscrit dans l’évolution et les structures du langage.
Une théorie des rêves (5) doit avoir aussi recours à une linguistique. Aucune version de quelque rêve humain, comme de quelque récit humain, n’est linguistiquement innocente ou neutre. La relation du songe sera sujette exactement aux mêmes contraintes et déterminants en matière de convention narrative, d’idiome, de syntaxe, de connotation, que tout autre acte de langage, y compris, cela va sans dire, le récit biblique. C’est ce médium qui permet d’approcher, à défaut d’appréhender, le noyau de sens de ces productions.

1. Sens du rêve et sens de la torah.
Le rêve est un régime de l’esprit qui diffère singulièrement du régime de la veille. Mais le rêve a un sens, fut-il diffus. Ce sens se love surtout autour des images visuelles qui sont le propre de la fonction figurative du phénomène onirique. Le rêve est une énigme figurative. « Des pensées, dit Freud, y sont transposées en images -principalement visuelles - donc des représentations de mots sont ramenées aux représentations de choses qui leur correspondent, comme si, dans l’ensemble, une prise en considération de la figurabilité dominait le processus » (6). Autrement dit, le rêveur a tendance, en rêve, à rendre figurables des pensées abstraites.
Une tendance analogue ressort à l’évidence de l’étude des « légendes rabbiniques » : le midrach, modalité sous laquelle se présente la signification philosophique, morale et religieuse de la Torah. La théologie du judaïsme normatif n’est jamais explicite. Il n’existe pas de formulation abstraite et systématique des croyances rabbiniques qui corresponde à des catégories philosophiques. C’est la aggadah -l’exégèse narrative et créatrice- qui se laisse transcrire, par qui sait la solliciter, en concept philosophique. À première lecture, la aggadah semble amplifier le texte biblique en ajoutant des détails de son invention, non pas de manière arbitraire, mais à partir d’une imagination normée prenant appui sur des indices disséminés dans le texte. En enjolivant certains récits, en privilégiant le langage figuratif, diégésétique ou métaphorique par rapport au langage conceptuel par trop abstrait. Et c’est précisément dans les plis de cette diégèse qu’il faut quérir la signification philosophique.

2. Les élaborations secondaires.
Le rêve est l’accomplissement déguisé d’un désir refoulé. C’est parce que dans le rêve le désir se dissimule, que le travail d’interprétation est nécessaire. Ce travail doit substituer le langage de la signification à celui de la force (7) en renvoyant indéfiniment de signifiant à signifiant, ou encore celui de la ruse de la raison à la ruse de la passion.
Or, on peut déceler une tendance similaire dans l’exégèse midrachique : là où le texte biblique est obscur, le midrach doit jeter sa lumière ; là où le texte est énigmatique, il doit s’efforcer de faire lever le sens. Là où il y a contraction du récit, là s’insère l’amplification midrashique. Plus encore, la lecture midrachique investit le texte biblique en étant attentive à ses blancs, aux failles du récit ou du discours, et en les « comblant » au besoin par le recours à l’intertextualité. Elle remédie au caractère lacunaire du texte en le réélaborant et parfois en proposant un autre texte que celui qui est donné, mais qui permet de mieux comprendre le texte de base.
Puisque le rêve, comme le récit biblique, est parcimonieux, indigent, lapidaire, laconique ou, comme dit Freud, « sténographique », le midrach ou l’interprétation vont pallier cette avarice de détails et voir dans le caractère énigmatique du récit l’occasion de restituer un ordre logique à ce qui se présente sous la forme de la simultanéité. C’est l’élaboration secondaire du rêve par le moi du rêveur qui introduit dans ses productions oniriques, à mesure qu’il se rapproche de la pensée vigile, un enchaînement logique. C’est aussi le travail de l’exégèse midrachique, qui rassemble les débris du sens disséminés dans les replis du texte et les recompose en un ensemble cohérent et intelligible.

3. Travail du rêve et travail de l’exégète
Le rêve est l’accomplissement déguisé d’un désir refoulé. Mais ce travestissement est, à son tour, l’effet d’un travail appelé par Freud travail du rêve -processus dont « l’activité n’est ni de penser, ni de calculer, ni de juger mais seulement de transformer » (8). Ce mécanisme de transformation opère par déplacements, condensation, surdétermination, dramatisation et symbolisation qui fonctionnent comme autant d’indices qu’il faudra détecter et, bien entendu, passer au crible de l’interprétation.
Dans la lecture midrachique, il y a aussi travail, mais travail de l’exégète. Là, l’activité de « transformation » prend appui d’une part sur la pensée à l’état de veille, les recoupements et le calcul, le jugement, activités de réflexion par excellence, et d’autre part sur les aspérités du texte, sur sa résistance à une lecture neutre ou blanche. L’interprète devra solliciter le texte, c’est-à-dire « ébranler d’un ébranlement qui a rapport au tout (de sollus, en latin archaïque : le tout, et de citare : pousser) » (9). Solliciter : faire émerger le sens en ébranlant les structures par trop rigides du texte.

4. Régressions à l’œuvre.
C’est là que se situe la différence abyssale entre la Psychanalyse et la tradition rabbinique. Pour celle-ci, comme pour le monde antique en général, les rêves sont « prophétiques », mais seulement d’une sous-prophétie, d’une « petite prophétie ». Le rêve ne serait qu’un soixantième de prophétie (Berakhot 57b), la fleur fanée de la prophétie, alors que la véritable prophétie est parole de Dieu ; parole articulée et immédiatement signifiante, intelligible. Au reste, dans ces pages talmudiques (déjà citées), les Maîtres se demandent dans quelle mesure le rêve permet de prévoir l’avenir et « accentuent le rôle de la raison et de la pensée claire et distincte au détriment des ruses du rêve » (10) même si sans lui, on ne sait pas au juste ce qui se passe en nous. Mais les rêves sont néanmoins considérés comme anticipateurs, prémonitoires ou auguraux, même s’ils ne se réalisent jamais intégralement (Berakhot 55a). Ils constituent la trame de l’histoire (11). Rêves de victoires ou de défaites, rêves annonciateurs d’une élévation ou d’une catastrophe personnelle, rêves oraculaires ou énigmatiques déchiffrés à la lumière des événements ultérieurs. Leurs récits sont des documents déposés dans les archives historiques.
Ainsi Yehezqiel Kauffmann établit que la révélation divine à l’humain par le songe revêt deux formes : le rêve énigmatique ou le rêve oraculaire. Dans le premier, l’humain reçoit des images à forte valeur symbolique celant une signification ou une intention. Dans le second, Dieu se révèle à l’humain et lui parle clairement sans symboles. Le rêve énigmatique exige donc une interprétation. Nous trouvons ces deux formes de rêves aussi bien chez les Nations du monde qu’en Israël, mais le rêve prophétique est lui caractéristique. Les rêves de Pharaon et de Nabuchodonosor sont des rêves énigmatiques alors qu’il n’y en a pas en Israël. De même il n’y a pas d’oniromanciens dans la Bible à l’exception de Joseph et Daniel, mais tous deux exercent leur savoir-faire auprès des rois des Nations. La prophétie est opposée au rêve à cause de la dimension déterministe apodictique qu’il semble renfermer et qui ne laisse aucune possibilité au choix, à la volonté humaine, au libre arbitre. C’est pourquoi Jérémie distingue radicalement le rêve de la prophétie : j’entends bien ce que disent les prophéties qui prophétisent faussement en mon nom : que le prophète qui se targue d’un songe raconte ce songe, mais que celui qui est favorisé de ma parole annonce fidèlement ma parole : que vient faire la paille avec le grain (Jr 23, 25-28). Et Zacharie d’insister : C’est que les terafim (oracles) débitent de vains discours, les augures des visions mensongères, les songes des futilités et apportent des consolations illusoires (Za 10,2). Seul Dieu dirige les événements de l’Histoire selon Sa volonté, seul, il connaît l’avenir, l’anticipe et peut ainsi l’annoncer clairement au prophète.
En Psychanalyse, au contraire, les rêves ne se nourrissent pas de la « prophétie », mais du souvenir. Le vecteur sémiologique est pointé non pas vers le futur, mais vers le passé. La dynamique de l’opacité n’est pas celle de l’imprévisible mais du refoulé. Le désir représenté dans le rêve serait nécessairement infantile. Le rêve marquerait la régression de l’appareil psychique au triple sens formel de retour à l’image (figuration sensible), retour à l’enfance et retour au court-circuit du désir et du plaisir. On sait que Freud qualifie le rêve de via régla (voie royale) vers l’inconscient et qu’il utilisa les rêves de ses patients pour leur faire prendre conscience de pulsions sexuelles dont le refoulement constitue précisément l’essence même des troubles névrotiques. Le rêve proviendrait alors de deux souches différentes : les contenus conscients tels que les impressions reçues dans la journée et les contenus constellés dans l’inconscient.
C’est pourquoi, en conclusion de son Interprétation des Rêves, Freud établit catégoriquement « Le rêve peut-il révéler l’avenir ?.. II n’en peut être question. II faudrait bien plutôt dire : le rêve révèle le passé. Car c’est dans le passé qu’il a toutes ses racines. »
Parfois l’interprétation midrachique dégage cette tendance, que ce soit au niveau de la vie des individus ou au niveau des peuples, puisque, comme le reconnaît Freud lui-même, les mythes et les légendes jouent dans la vie du groupe le même rôle que le rêve dans la vie des individus.

5. Deux démarches créatrices.
Enfin, si le rêve permet d’élaborer par d’innombrables recoupements ce que Paul Ricoeur appelle « une architectonique de la fonction symbolique dans ce qu’elle a de typique, d’universel » (12) le midrach, lui, tente de conférer une dimension universelle aux problèmes agités par le texte biblique et quiconque perd de vue cette idée risque de mécomprendre l’herméneutique midrachique.
Il y aurait donc, entre les deux méthodes d’investigation, bien des formes de convergence au point qu’on pourrait appliquer à l’interprétation psychanalytique la technique midrachique appelée historiographie créatrice, caractérisée par un penchant pour le sensible, le concret ; une volonté de compléter et de préciser les détails, de situer l’action dans un temps déterminé et un endroit précis, autour de certains protagonistes ; une tendance à réduire les distances d’espace et de temps au risque de bizarres anachronismes, à concentrer l’intrigue et à interpréter les moindres détails d’un récit.
Pourtant, l’interprétation freudienne des rêves s’oppose à la fois à l’interprétation populaire qui considère le contenu du rêve comme une totalité et cherche à lui substituer un contenu entièrement intelligible et à la méthode de déchiffrement qui traite le rêve comme un écrit chiffré ou codé où chaque signe est traduit par un autre signe correspondant grâce à une clé fixe : la clé des songes (13).
La technique d’interprétation freudienne comporte comme élément fondamental la fragmentation des rêves en différentes parties, des associations étant établies ensuite, relativement à chaque partie séparément. Paradoxalement, le midrach présente une technique similaire, dénommée philologie créatrice. II s’emploie à interpréter chaque détail du texte indépendamment du contexte. Les consonnes d’un mot, les mots, les versets détachés du contexte immédiat ont par eux-mêmes (fragmentation) une signification qui vient s’ajouter (association) à la signification des contextes immédiats et des contextes lointains. D’une part, l’unité de l’Écriture permet de recourir à n’importe quel passage de la Bible pour en interpréter un autre ; d’autre part, la plénitude de sens de l’Écriture permet d’interpréter chaque élément du texte biblique pour lui-même.
Mais on remarque chez Freud une oscillation perpétuelle entre « la tentation d’esquisser une nouvelle clé des songes d’après la méthode de déchiffrement » et une mise en garde : ne pas surestimer l’importance des symboles lorsqu’ils fonctionnent à la manière de « signes sténographiques pourvus une fois pour toutes d’une signification précise » (14). Freud suggère-t-il de combiner les deux techniques d’interprétation ? La méthode de fragmentation/association doit-t-elle compléter celle de déchiffrement/symbolisme, tout comme pour le midrach l’historiographie créatrice se mêle à la philologie créatrice pour féconder l’herméneutique rabbinique ? Rien n’est moins sûr. Selon Derrida, l’écriture psychique, celle du rêve, « simple moment dans la régression vers l’écriture « primaire » ne se laisse lire à partir d’aucun code. Le rêveur invente sa propre grammaire. Il n’y a pas de matériel signifiant ou de texte préalable qu’il se contenterait d’utiliser, même s’il ne s’en prive jamais » (15).
« Texte préalable » et « matériel signifiant » seront utilisés par les Maîtres du Midrach et du Talmud pour donner sens aux rêves de la Bible.






Seul Moise celui qui  n’a pas eu besoin de parole déguisée et de rêve pour être le prophète de l’Eternel. Quand Myriam et Aaron tiennent des propos contestataires sur lui l’Eternel répond : « Ecoutez donc mes paroles : s’il y a parmi vous un prophète, c’est en vision que je me révèle à lui, c’est dans un songe que je lui parle. Il n’en est pas ainsi de mon serviteur Moïse : toute ma maison lui est confiée. Je lui parle face à face dans l’évidence, non en énigmes, et il voit l’essence de l’Eternel. » (Nombres 12, 6-8).    
        C’est dire que toute la Bible est un rêve, hors les textes où le prophète est Moïse, mais eux aussi sont d’inspiration poétique.coirault-neuburger.blog.lemonde.fr



Source : akadem - lechampdumidrash - 

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